Les Congolais veulent la paix, pas des paroles en l’air de New York ou de Bruxelles (CongoForum)

(Carte blanche)

La ville de Goma au Nord-Kivu est aux mains des rebelles du M23/AFC, soutenus par le Rwanda, depuis plusieurs semaines. Pendant ce temps, les mêmes rebelles se sont imposés au Sud-Kivu: à Kalehe, à Kabare, et maintenant la ville de Bukavu est également occupée. Les Kivutiens subissent l’occupation en n’ayant pas le choix. Que peuvent-ils faire d’autre? Les occupants ne sont pas des tendres et disent régulièrement qu’ils « ne connaissent pas la prison ». En d’autres termes, quiconque nous met des bâtons dans les roues subira les conséquences.

Le plus grand désir des Congolais qui subissent tout cela est la paix. Une paix durable, sans attaques constantes, sans combats, sans massacres et sans violations des droits de l’homme. Ce n’est pas un désir facile à réaliser. Au Kivu, il y a non seulement le M23/AFC, mais aussi les rebelles de l’ADF et toute une série d’autres groupes armés et milices pour qui le pouvoir vient du canon d’un fusil. En Ituri, la CODECO et d’autres milices font beaucoup de dégâts.

Revenons au M23/AFC et à leur sponsor rwandais. Le Parlement européen a récemment approuvé une résolution demandant au Rwanda de retirer ses troupes de l’est du Congo et de cesser sa coopération avec le M23/AFC. Selon la même résolution, un « protocole d’accord » (controversé) sur les matières premières entre l’UE et le Rwanda devrait être suspendu.

L’existence de cette résolution est une démarche positive. La seule question est de savoir ce que la Commission européenne et les États membres de l’UE vont maintenant faire très concrètement. La Belgique fait certainement partie des pays qui préconisent des sanctions et des mesures à l’encontre du Rwanda. Mais cela signifie-t-il que ces sanctions et mesures seront effectivement mises en place ?Et quel sera leur degré de sévérité? Même avec des sanctions – qui sont souhaitables – le Rwanda ne voudra pas céder facilement.

Il n’y a pas grand-chose à attendre de l’administration américaine. Donald Trump et son entourage ne s’intéresseront guerre à la guerre et aux violations des droits de l’homme en RDC. Ils sont surtout intéressés par les matières premières, comme le montre leur politique à l’égard d’autres pays et régions.

Kagame se dit ne pas impressionné

Le président rwandais Paul Kagame a quant à lui déclaré à Jeune Afrique qu’il n’était pas impressionné par des sanctions éventuelles ou les critiques de pays tels que la Belgique et l’Allemagne. M. Kagame estime qu’il doit faire face à une « menace existentielle ». C’est là sa priorité, sanctions ou pas de sanctions. Bien entendu, il s’intéresse également aux matières premières congolaises, pillées depuis des années et exportées vers le Rwanda, après quoi elles trouvent sans doute des clients en Occident et en Chine.

Kagame n’est pas non plus un enfant de choeur: il cherche à maximiser son influence politique dans la région. Cela peut se faire, par exemple, en amenant au pouvoir dans le Kivu des personnes qui sont ses amis. L’image d’un état vassal n’est alors pas loin, bien sûr.« Je défends les Tutsis congolais, les Banyamulenge, qui sont discriminés au Congo », aime à dire Kagame lui-même. Les excuses sont faites pour s’en servir.

Le chaos à Kinshasa

A Kinshasa, pendant ce temps, le chaos règne. Les dirigeants ne savent pas quoi faire. Ils promettent une « riposte vigoureuse », mais dans les faits, il n’y en a aucune trace. Ils louent les « vaillants combattants » qui défendent le pays, mais restent eux-mêmes bien à l’abri, à des milliers de kilomètres des combats. Le président Félix Tshisekedi tire dans tous les sens: on accuse tantôt Kagame, tantôt Joseph Kabila, et l’Occident est également pointé du doigt – surtout parmi les partisans de l’UDPS. Tout le monde est coupable, sauf son propre club.

Sans une armée bien payée, motivée et correctement équipée, le Congo ne peut pas faire face aux rebelles bien organisés et aux soldats rwandais. Peut-on reprocher aux soldats congolais de fuir souvent quand on voit les conditions dans lesquelles on leur demande de défendre le territoire?

La propagande ne manque pas non plus. Selon Kinshasa, Bukavu serait de nouveau aux mains de l’armée congolaise. Mais des sources sur le terrain contredisent cette affirmation. Les rebelles n’ont pas du tout quitté Bukavu.

À Goma, à Bukavu et dans d’autres lieux occupés, les gens vivent désormais dans des conditions très précaires. Les soldats congolais en fuite ont souvent laissé derrière eux des armes qui sont aujourd’hui entre les mains des civils. Une situation qui ne favorise certainement pas la sécurité. Avec ces armes dans les maisons de certains civils, il faudrait une couvre-feu dans les deux villes de Bukavu et Goma pour essayer de trouver tous les effets militaires et éviter un autre danger actuellement même lors d’un probable retrait des rebelles dans les deux villes de l’Est, disent des sources sur place.

Dans les villes occupées, nous voyons comment certains habitants se mettent à piller. Un désastre pour les boutiques et les commerçants concernés. À Goma, les banques n’ont toujours pas le droit d’ouvrir, car elles doivent être autorisées par la banque centrale de Kinshasa. Les rebelles souhaitent que la vie économique reprenne, mais jusqu’à présent, cela ne se fait que très prudemment. Au Kivu, ils ont également l’impression que les dirigeants de Kinshasa se moquent des faits et font souvent des déclarations qui ne reflètent pas la réalité.

Des religieux qui cherchent la paix

Une lueur d’espoir est offerte par les évêques catholiques et les religieux protestants qui se déplacent pour plaider en faveur du silence des armes et des négociations de paix. Ils croient en un « pacte social » qui ouvrirait la voie à la paix. À Kinshasa, on les regarde de travers, car les chefs religieux ont même rendu visite à Kagame. Mais a-t-on vraiment le choix? Tshisekedi lui-même continue à refuser de discuter avec le M23. Une position qui peut être politiquement intelligible quelque part, mais qui fait preuve de peu de réalisme.

Si la communauté internationale ne veut pas manquer à son devoir une fois de plus, elle devra développer une stratégie qui dépasse les déclarations fracassantes. Les déclarations classiques de désapprobation de l’ONU ne suffiront pas.

L’Europe

L’Europe ne veut pas envoyer de troupes sur le terrain. Elle ne veut même pas le faire en Ukraine. Quant au Congo, le pays est si loin – certainement dans l’esprit de beaucoup de gens.

Mais la souffrance humaine au Congo n’est pas moins grande qu’en Ukraine. L’Europe et l’Occident ont mis sur la table des milliards d’euros et de dollars pour soutenir l’Ukraine dans sa lutte – justifiée – contre le régime de Poutine. Il faut donc faire des démarches très tangibles pour l’est du Congo, sous la forme d’efforts très concrets pour y rétablir la paix et faire rentrer Kagame dans son pays.

Au sein de la population congolaise, le désespoir est tel que certains placent leurs espoirs en Poutine. Mais comme d’autres acteurs internationaux, Poutine cherche avant tout à défendre ses propres intérêts.Il est donc illusoire de penser que cet autocrate puisse soudainement faire des miracles, outre le fait que son régime est pleinement impliqué dans une guerre qui dure depuis bientôt trois ans.

Denis Bouwen, 16.02.25

Image: l’archévêque de Kinshasa, Mgr. Fridolin Ambongo. Il participle aux efforts des Eglises pour faciliter un vrai dialogue de la paix.

Source: Archidiocèse de Kinshasa

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